Les bobos de l’hiver, 1945 – 2025 par Arnaud Foltzer


Vous aviez déjà remarqué que Niv’OSE s’intéresse à la neige sous TOUTES ses faces, planes* ou pas ? Aujourd’hui, nous allons vous parler de quelques « bobos » liés à la neige, mais aussi d’histoire, afin de relativiser les difficultés que nous connaissons aujourd’hui dans les Vosges.


Comme un certain nombre d’adhérents de Niv’OSE, j’ai compris que dès qu’il y a de la neige au sol, il faut en profiter parce qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. Suivant cette logique, j’ai donc parcouru la neige pendant les vacances de Noël. En ski si possible, quelques sorties en raquettes, puis ces derniers jours, avec la baisse du manteau neigeux et le regel nocturne, skis et raquettes sont restés dans le coffre de la voiture.

Rothenbach 15/01/2006 – P-M D (c)

Oui mais … skis et raquettes n’ont pas été inventés pour rien… Je sentais depuis quelques jours qu’il ne fallait pas trop tirer sur la ficelle… et ce matin, réveil difficile. Paf ! Une nouvelle conséquence du réchauffement climatique ! A défaut d’une quantité de neige suffisante pour skier, il faut marcher dans une couche de neige hétérogène. On s’enfonce, on ne s’enfonce pas, il faut taper des pieds pour ne pas glisser, rattraper une glissade, lever les pieds dans un passage dans la poudreuse… L’effort est soutenu et le corps mis à rude épreuve. Je vous livre tel quel la prescription médicale : « Bon pour la prise en charge par kinésithérapie d’une fessalgie chronique. Contracture du piriforme ? » Ceux qui rigolent ont raison, mais ça fait mal quand même !

A noter que par respect pour les lecteurs, Niv’OSE ne souhaite pas présenter de photo de cette pathologie.


Un problème mieux connu est la morsure du froid : l’engelure, voir les gelures. Les femmes fines et trentenaires sont les plus sensibles, avis aux personnes concernées ! Exposés au froid, nez, oreilles, mais surtout orteils et doigts (phénomène aggravé par l’humidité dans les chaussures et les gants). Lorsque nos extrémités sont exposées au froid, notre corps, pensant bien faire, mets un mécanisme de protection en place. La circulation sanguine est orientée en priorité vers les organes vitaux, évitant une perte d’énergie à essayer de chauffer ces extrémités qui semblent avoir fait de la déperdition calorique leur raison d’être. Si le froid est passager, l’engelure peut déjà laisser des traces. Si le froid persiste et que les cellules sont attaquées par le gel, c’est la gelure et les lésions peuvent être graves. Dans les Vosges, il est possible d’interrompre une sortie assez vite. Mais si l’on est loin de tout, ou bloqué dans la neige, la situation est sérieuse. Lorsque le sang gèle, l’oxygène n’arrive plus aux cellules et le signal de douleur ne remonte plus à la victime. Mais arrêtons-nous là, si cela vous arrive, il faudra requérir un avis médical.


Au stade de l’engelure, des plaques rouges/violacées se forment, qui vont enfler et démanger, particulièrement lorsque les pieds réchauffent.


Si vous aimez l’hiver, vous êtes prêts à accepter les pieds froids et humides dans les chaussures. Et si vous aimez vraiment l’hiver (ou que vous n’avez pas le choix, il y en a qui bossent dans la neige), vous êtes même prêts à accepter que cela se répète de jours en jours. Et comme vous avez compris que la biodiversité est en danger, vous êtes prêt à faire votre part en offrant le gite et le couvert à Trichophyton rubrum. C’est gentil de votre part, mais ce champignon microscopique parasite exclusif de l’être humain n’est pas menacé d’extinction. Il semble responsable de 90% des mycoses et passe sa vie à se nourrir de kératine sur notre peau et nos ongles. Alors pour éviter cet hôte indésirable, penser à sécher vos chaussures entre chaque sortie, cela suffit généralement à éviter les ennuis.


Il faut quand même être conscient que ces pathologies sont aujourd’hui plus facilement évitables qu’elles ne l’étaient avant l’avènement du matériel technique. Ces problèmes étaient alors courants, et les déplacements à travers la montagne plus difficiles qu’en 2025. Pensez à Marie-Catherine et Jean-Baptiste Marchal, morts dans la neige en rentrant de Munster vers leur domicile au Valtin le 11 mars 1844, ou Jean-Claude Clément rentrant d’un enterrement à La Bresse vers Gérardmer le 9 avril 1872.

Note : l’histoire est parfaitement relatée dans ce livre « Au pays des marcaires » de Victor Lalevée – Fraize

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La guerre dans l’hiver vosgien.

Souvenons-nous aussi de Goumiers marocains de la première armée française lors de l’hiver 1944-1945. Voici quelques extraits du journal de marche de René Jeanneau (opérateur radio au 9e Tabor) :

6 décembre 1944 : Tout est couvert de neige : 60cm.

7 décembre : de la pluie. On parle de préparer une attaque sur la route des crêtes. Deux blessés au 82e goum, dont le lieutenant Marchetti : un éclat dans le bas de l’épaule, assez grave.

Carte de 1934 au 1/50.000. Édition du Club Vosgien. Prix: Frs 7,50

10 décembre : Je dois effectuer une mission de reconnaissance dans la nature. […] Des sifflements très brefs, ça explose dans tous les coins, un à quelques mètres de moi qui n’a pas éclaté, c’est de la veine. […] La nuit commence à tomber, je constate que dans la précipitation j’ai perdu ma lampe électrique. […] Nous rentrons au bercail, malgré la nuit noire grâce au sol couvert de neige qui nous permet de voir un peu et à mes deux goumiers, nous arrivons à trouver notre chemin. Content d’être bien rentré, car j’ai eu chaud, façon de parler.

20 décembre : Il commence à faire froid. Au cours de ma tournée pour vérifier une ligne, je suis frigorifié. Les oreilles, les doigts me glacent, j’ai les pieds gelés. Je pense que le thermomètre doit être en-dessous de -25°.26 décembre : Le grand froid revient depuis quelques jours. Le verglas est une véritable patinoire, l’eau est gelée même dans notre salle d’eau près de notre chambre.

6 janvier 1945 : Cette nuit : patrouille et embuscade avec Causse et huit goumiers. Nous attendons planqués pendant plus d’une heure, couché sur la neige et il fait froid…

Vague de froid de janvier 1945


8 janvier : Aujourd’hui, nous avons une superbe journée ensoleillée. Je fais du ski, c’est la première fois de ma vie. A environ 1km du village [de Wildenstein]. Après quelques bûches au début, je suis parvenu à maintenir mon équilibre mais pas pour longtemps. Je trouve cela épatant comme sport. En rentrant j’ai dû passer à l’infirmerie pour me faire panser la main, je me suis foulé le pouce de la main droite en tombant, mais rien de grave. Cette nuit, je suis de patrouille et embuscade, et il fait froid. Cela fait long cette attente, et il ne se passe rien une nouvelle fois.

Photo Arnaud F. versant sud/ouest du Rothenbachkopf


Les conditions qu’ont connus les soldats lors de la bataille des Vosges appellent au respect et nous amènent à relativiser nos petits bobos et autres tracasseries de l’hiver. Profitons de l’hiver, mais soyons plus que jamais conscients de notre histoire.

Conditions météorologiques de janvier 1945 sur le site de Guillaume Séchet: https://www.meteo-paris.com/france/hiver-1945.html

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*Pour ceux qui n’auraient pas suivi, les « faces planes » désignent un grain de neige qui s’est formé lors d’épisode prolongés de basses températures. Voir : https://www.umr-cnrm.fr/spip.php?article468