Au ciel nocturne parfaitement dégagé succède un retour nuageux venu du sud. Sur la crête, le vent souffle modérément d’est. Il fait 5°C. Le ciel s’est couvert. Sur les traces des anciens marcaires et de leurs troupeaux, nous empruntons les sentiers pavés menant au Frankenthal.
Le sentier débouche sur la Chaume du Frankenthal. Ici existait au XIX siècle une marcairie dont voici deux rares représentations.
Ci dessous. Emprise des deux couloirs parmi les plus actifs du massif du Hohneck. A droite, le Grand Dagobert et à gauche la Combe Dagobert. Ces deux tracés convergent vers la ruine de la première marcairie. Le nouveau bâtiment sera construit après 1910 en bordure du couloir d’avalanche.
Voici ce qu’il reste aujourd’hui de ce double bâtiment.
Retour sur l’histoire du site de la marcairie du Frankenthal.
Lors de la 10 ème Rencontre d’Histoire des Hautes Vosges, en 2000 à Orbey, Francis GUETH présentait des « Éléments pour une histoire ancienne de l’enneigement et des avalanches dans les Vosges ». Contrairement à ce que l’on a pu lire dans certaines thèses ou articles parus après 2013, la recherche sur les avalanches dans notre petit massif ne date pas d’hier. La culture du risque aussi puisque reconnue et enseignée au sein du Club Alpin Français dès sa fondation en 1874. Un croquis des différents couloirs et leurs toponymes et qui date de 1988 est toujours affichée dans les refuges des Hautes Vosges.
Dans son article, Francis Gueth reprend deux articles parus dans le « Bote vom Munsterthal » en mai 1910 et dont il donne la traduction: « La marcairie du Frankenthal est totalement détruite. On n’a pas encore pu établir si c’est à la suite d’une tempête ou d’une avalanche. Ce qui est certain, c’est que le toit a été arraché et emporté à près de 30 mètres et que les murs de soubassement ont également été fortement endommagés. Aux alentours gisaient en outre nombre d’arbres déracinés ainsi que de volumineux débris rocheux qui furent entraînés ici par l’éboulement déjà rapporté par le « Bote Munsterthal ».
Un secteur particulièrement soumis à d’importants phénomènes avalancheux et de chutes de blocs de roches.
Effectivement, quelques jours avant, le garde général Strohmeyer se trouvait au Rothried, bien en aval du Frankenthal, lorsqu’il put observer la chute d’un gros bloc de roche qui s’était détaché d’une paroi rocheuse ».
Observations du 4 avril 2006.
Le 4 avril 2006, soit près d’un siècle après la destruction de ces bâtiments, avec un collègue nous effectuons une expertise en vue d’améliorer la CLPA (carte de localisation des phénomènes d’avalanches) que nous dressons depuis des années.
La saison froide 2005/2006 fut la plus enneigée des 50 dernières années, avec plus de trois mètres de neige aux 3 Fours, en mars 2006. Lors des redoux printaniers, cette abondance de neige a provoqué de fortes avalanches.
La ferme actuelle, bien que déplacée en bordure du couloir, a été touchée à plusieurs reprises depuis sa construction. En avril 2006, les blocs de corniches de neige amassés à mi pente du couloir Dagobert représentent 4 à 6 mètres d’épaisseur et prennent l’apparence d’un glacier tant la surface est crevassée.
Effectivement, cette avalanche a suivi le même tracé qu’en 1910, passant sur les ruines de l’ancienne marcairie. Nous retrouvons en aval des débris de tuiles datant de sa destruction.
La localisation de cette chute de blocs dont parle Strohmeyer est imprécise. Néanmoins, nous pouvons penser que cet évènement provenait des falaises de la Martinswand ou des Rochers Verts. Et, surprise, ce 4 avril 2006, nous assistons nous aussi à la chute d’un bloc de granit de forte taille. Cette roche se fracasse en plusieurs morceaux en rebondissant sur les pierriers dans un bruit impressionnant.
En mars 2010, j’observe le front et le dépôt de matériaux d’une autre avalanche issue cette fois de deux couloirs adjacents: le couloir dit « des belges » et la Combe Dagobert. Voir l’infographie présentée plus haut).
En janvier 2021, l’avalanche du Grand Dagobert frôle à nouveau la nouvelle ferme et poursuit sa descente en contrebas de la ruine qui cette fois ne sera pas touchée. (dans le bouquet d’arbres sous la date)
En conclusion: le phénomène d’avalanche est très présent dans les anciens cirques glaciaires du Massif Vosgien. Nos observations prouvent que chaque hiver, des avalanches de puissance variable se produisent spontanément.
Dans le cas d’instabilité majeure du manteau neigeux, des avalanches sont déclenchées par des skieurs ou alpinistes, voire par des randonneurs en raquette. C’est ce qui s’est produit en février 2001 alors que le sondage et coupe stratigraphique indiquaient un risque de rupture de plaque à vent sur une strate de cristaux fragiles (cercle rouge; givre de surface et faces planes).
Le lendemain, un alpiniste dévissait suite à la rupture du manteau neigeux qu’il avait provoquée.